Les Druzes et Israël : Gardiens des montagnes

Dans les montagnes escarpées du Levant, un peuple secret et résistant s'est forgé une identité unique au fil des siècles. Les Druzes, une minorité religieuse et ethnique dont les racines remontent à l'Égypte du XIe siècle, ont longtemps été à la fois persécutés et pragmatiques, survivant en s'alignant sur les puissances régionales tout en préservant les mystères de leur foi. Aujourd'hui, leur alliance avec Israël, forgée dans une lutte commune et un respect mutuel, témoigne de la complexité de la géopolitique du Moyen-Orient et des impératifs moraux qui la transcendent parfois.
Pour comprendre le lien entre les Druzes et Israël, il faut d'abord se plonger dans leur histoire. Comme l'explique Mordechai Kedar, spécialiste renommé des études arabes et moyen-orientales à l'université israélienne Bar-Ilan, dans un entretien récent avec Sarah Stern de l'Endowment for Middle East Truth (EMET), les Druzes sont apparus comme un groupe dissident de l'islam au Xe siècle. Rejetant les principes fondamentaux de l'islam, ils ont été immédiatement persécutés. "Une fois qu'une personne s'est convertie à l'islam, il n'y a pas d'issue", fait remarquer M. Kedar, en référence à la sévère punition pour apostasie prévue par la loi islamique traditionnelle. Les Druzes, considérés comme hérétiques, se sont réfugiés dans les régions montagneuses du Liban, de la Syrie et d'Israël, un choix stratégique. "Les minorités vivent toujours dans les montagnes", observe M. Kedar. "Les musulmans sunnites vivent dans les plaines, mais les montagnes leur offrent une protection."
La stratégie de survie des Druzes repose sur la loyauté envers le pouvoir en place. Sous l'Empire ottoman, ils jouissaient de l'autonomie en payant des impôts et en évitant les conflits. Mais lorsque les Français et les Britanniques ont démantelé la domination ottomane après la Première Guerre mondiale, les Druzes se sont rebellés contre les tentatives françaises de les intégrer dans une Syrie dominée par les sunnites. Leur soulèvement de 1925, mené par le sultan al-Atrash, est devenu un symbole de résistance, bien qu'il ait finalement échoué. "Les Français ont assiégé [leur montagne] et les ont presque tous tués de faim", raconte M. Kedar. Intégrés de force dans l'État syrien, les Druzes ont adopté une approche pragmatique : s'aligner sur la faction la plus forte pour assurer leur survie.
Ce pragmatisme s'est étendu à Israël. Pendant la guerre d'indépendance de 1948, les dirigeants druzes, observant la résistance d'Israël, ont choisi de se ranger du côté de l'État juif naissant. "Ils nous ont rejoints de tout cœur", déclare M. Kedar. En 1955, les hommes druzes ont été enrôlés dans les Forces de défense israéliennes (FDI), où ils servent avec distinction. Leur taux d'engagement volontaire dans les unités de combat est supérieur à celui des Israéliens juifs, ce qui témoigne de leur engagement. "Ils savent ce qu'ils défendent", souligne M. Kedar, en racontant l'histoire d'un officier druze dont le père a entendu des voisins arabes comploter pour s'emparer des maisons druzes après une hypothétique victoire arabe en 1967. "Va servir dans l'armée, car sinon [ils] diviseront nos maisons", a insisté le père.
La relation entre les Druzes et Israël n'est pas seulement transactionnelle, elle est aussi familiale. Les communautés druzes de la région du Carmel, de la Galilée et du plateau du Golan sont pleinement intégrées et nombre d'entre elles possèdent la nationalité israélienne. M. Kedar souligne l'héroïsme de personnalités telles que Salim Shufi, un adolescent druze qui a fui la Syrie pour se réfugier en Israël dans les années 1950 et qui a ensuite guidé des unités d'élite des FDI lors de missions secrètes. "Netanyahou et [d'autres commandants] l'ont suivi dans ses allers-retours en Syrie", explique M. Kedar. L'héritage de Shufi est honoré chaque année, symbolisant la profonde confiance entre les Druzes et Israël.

Pourtant, les frères syriens des Druzes sont confrontés à des menaces existentielles. Depuis la guerre civile en Syrie, des groupes djihadistes comme Hay'at Tahrir al-Sham (HTS) - une faction liée à Al-Qaïda - ont pris pour cible des villages druzes, les considérant comme des apostats. "Ils les massacrent et enlèvent leurs filles", prévient M. Kedar. Pour Israël, la crise est personnelle. De nombreux Druzes israéliens ont de la famille en Syrie, et des groupes WhatsApp relaient en temps réel les appels à l'aide. "Ils demandent au gouvernement de protéger leurs frères", note M. Kedar.
L'intervention d'Israël en Syrie pour protéger les Druzes relève à la fois de l'obligation morale et du calcul stratégique. M. Kedar affirme que la loyauté est une pierre angulaire de la culture du Moyen-Orient : "Si vous trahissez vos alliés, vous n'êtes pas un être humain. L'abandon par Israël de l'armée du Sud-Liban en 2000 a, selon lui, entaché sa réputation. Soutenir les Druzes permet de rectifier le tir et d'envoyer un message aux alliés régionaux tels que l'Arabie saoudite et l'Égypte : Israël est aux côtés de ses amis.
En outre, les Druzes constituent un rempart contre l'expansion djihadiste. M. Kedar propose des "menaces crédibles" au chef du HTS, Abu Mohammad al-Julani : nuire aux Druzes et s'exposer à des représailles israéliennes. Selon lui, une telle dissuasion est peu coûteuse par rapport à la guerre multi-fronts menée par Israël contre les mandataires de l'Iran. "Protéger les Druzes semble facile comparé à Gaza ou au Yémen", remarque Kedar.
Le dilemme druze met également à l'épreuve l'identité d'Israël en tant que nation défendant les minorités. M. Kedar compare le traitement des Druzes par Israël à l'oppression des Sunnites par Assad, en notant que les Druzes se sont rangés du côté d'Assad pour des raisons de survie et non par méchanceté. "Ils n'avaient pas d'autre choix que de se ranger du côté du vainqueur", explique-t-il. Aujourd'hui, alors que les Druzes sont menacés de génocide, les actions d'Israël auront des répercussions au-delà de la Syrie. "Tout le Moyen-Orient nous observe", prévient M. Kedar.
Dans une région où les alliances se déplacent comme les sables du désert, le lien entre les Druzes et Israël perdure. Il s'agit d'un partenariat forgé dans le respect mutuel, le sacrifice partagé et la règle tacite du Levant : la loyauté est synonyme de survie. Comme le conclut Kedar, "nous devons soutenir les Druzes de toutes les manières possibles". Pour Israël, le choix est clair et les enjeux le sont tout autant.

Aurthur est journaliste technique, rédacteur de contenu SEO, stratège marketing et développeur web indépendant. Il est titulaire d'un MBA de l'Université de gestion et de technologie d'Arlington, en Virginie.
