GARE AU LEVITE
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Il descendait petit à petit. Il descendait physiquement car ce musée était ainsi fait, et il descendait psychiquement, progressivement de plus en plus marqué, sans le savoir, par ce qu’il voyait et ressentait au plus profond de lui-même. Oui, son âme s’appesantissait peu à peu sans qu’il en ait pris conscience.
Il arrivait à la fin de cette longue allée qui allait d’une pièce à une autre montrant les horreurs de la Shoa. Cela s’est passé il y a 14 ans. Ce dont il se souvient c’est que l’allée avait fini de descendre et allait commencer à remonter vers une vue panoramique magnifique sur la nature, symbole d’un avenir nouveau, paisible et radieux.
Avant cette remontée se trouvait sur la droite une dernière pièce, cette « maudite » pièce qui allait tout changer, qui allait tout révéler et le transformer en profondeur. Dans cette pièce, des ordinateurs où les noms d’êtres chers disparus dans l’un des camps de la mort pouvaient être retrouvés. « Il n’y a pas de risque que mon nom apparaisse, se disait-il serein, ma famille a été protégée pendant la guerre. Aucun n’a été déporté ou tué. » Il tapota quand même son nom sur le clavier, par curiosité. Son nom apparu ! Pourtant un nom assez rare. Une seule personne s’affichait, un français déporté à Auschwitz en décembre 1943 et gazé à son arrivée, la veille de Noël. Il sût bien plus tard que c’était un cousin très éloigné de son père, de Mon père.
Soudainement, la Shoa ne fut plus l’histoire des autres, mais Mon histoire. J’imprimais le document témoignant de la fin tragique de cet aïeul et je sortais de la pièce, bouleversé par cette découverte.
Un grand écran de télévision était là, séparant l’avant et l’après Shoa, l’allée descendante et l’allée remontante. A l’écran, se déroulait le procès d’Adolf Eichmann, ce criminel nazi responsable de la logistique de « la solution finale » pendant la guerre. La colère était en train de m’envahir. Toute la descente dans ce musée, cette descente dans les profondeurs de l’horreur et de l’injustice avait créé un désir sourd de révolte. Cette colère s’était amplifiée avec ce brutal rattachement de ma famille, de mon nom, à ces évènements, et encore plus amplifiée à la vue du procès de cet homme, Eichmann, calme et paisible dans le box des accusés. Je vous dis la vérité, j’ai regardé autour de moi afin de chercher une batte de baseball ou quelque-chose de similaire pour frapper, démolir et exploser le symbole du responsable de toute cette souffrance que j’avais en moi. Rien ! Aucun objet. L’écran fut préservé de ma folie destructrice et meurtrière.
Rentrant finalement en moi-même, je conscientisais enfin, oserai-je dire, cette colère et son origine. Je réalisais que je portais, sans le savoir, le poids des comportements propres aux Juifs face aux multiples persécutions depuis des siècles, leur souffrance et leurs fuites vers une inatteignable vie plus paisible. Le Juif errant longe les murs pour se faire oublier, il s’assimile pour se fondre dans la masse, il se recroqueville parmi les siens et sa communauté, ou, complètement à l’inverse, il joue des coudes et cherche à prouver par tous les moyens son droit d’exister. Il y a eu et il y a un peu de tout cela dans ma famille. Quelle révélation et quelle délivrance après avoir remis tout cela à Celui qui restaure les vies et les cœurs brisés.
Et voilà le 07 octobre ! Et voilà ces horreurs que les Juifs n’avaient pas connues depuis 1945 qui reviennent et renvoient chacun à son vécu lors de la Shoa, des pogroms ou des multiples actes anti-Juifs de part le monde. Au-delà des « pourquoi », je me surprends de nouveau à avoir une colère diffuse, sourde mais présente. Cette fois-ci, je me sens concerné et à plus d’un titre par ce nouvel épisode terrifiant. Car, n’en doutons pas, il s’agit bien d’un épisode qui en appellera bien d’autres, ici ou ailleurs, toujours avec le Juif comme cible et comme victime.
Cette colère, ma colère, se manifeste par des pensées sporadiques me mettant en scène avec des terroristes que je maltraite rageusement. Comment leur faire le plus de mal possible ? Les scenarii sont multiples et variés, mais éphémères car ma conscience me reprend rapidement et me porte à me repentir. Chaque nouvelle information des médias peut déclencher une nouvelle « rêvasserie » sanglante à laquelle je mets un holà dès que j’en prends conscience.
« A D.ieu la vengeance, à D.ieu la rétribution » (Deut. 32 :35) ne cesse de me proclamer mon esprit. Et je ne suis pas le seul à me le dire. Israël, pour se grande majorité, suit ce principe biblique. Dans la foi juive, il est question de ne pas faire du mal à ses ennemis, ni même de les faire pleurer ! Moi qui veux les assassiner !!!
Christ va même jusqu’à dire dans Matt 5 : 44-45 et 48 : « Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent, afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et Il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes… Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »
Comment cela est-il possible quand on est envahi par la tristesse, le malheur, le deuil, la souffrance, la persécution, le rejet, la colère … ? Seul D.ieu peut créer en nous ce Vouloir et ce Faire parfait.
Mon esprit m’a aussi rappelé la bénédiction de Jacob sur ses 2 fils, Lévi et Simon, alors qu’il était sur le point de s’éteindre. « Siméon et Lévi sont frères ; leurs glaives sont des instruments de violence. Que mon âme n'entre point dans leur conciliabule, que mon esprit ne s'unisse point à leur assemblée ! Car, dans leur colère, ils ont tué des hommes, et, dans leur méchanceté, ils ont coupé les jarrets des taureaux. Maudite soit leur colère, car elle est violente, et leur fureur, car elle est cruelle ! Je les séparerai dans Jacob, et je les disperserai dans Israël. » (Gen. 49 :5-7)
Israël, garde-toi du Lévite qui sommeille en toi. Garde-toi de cet esprit de vengeance qui voudrait te saisir et t’entrainer dans une colère violente et une fureur cruelle. Garde ton âme qui t’entrainerait facilement vers la destruction et l’irréparable. Compte seulement sur la Justice de ton D.ieu. Ma prière est que D.ieu te console, te restaure, te renouvelle, t’affermisse et te donne Sa Paix.
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Jérusalem